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Ciné-Club des Esthètes de la Rue Truffaut
10 juin 2016

Séance 2 - Sugarland Express

 

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Spielberg et le plan-séquence

Une figure de style montre l'appartenance de Steven Spielberg à l'esthétique classique du cinéma : le plan-séquence. Là où un Brian De Palma ou un Martin  Scorsese (pour rester dans le cercle des movie-brats) réalisent des plans-séquences qui marquent l'esprit du spectateur, qui se "font remarquer", et montrent donc leur appartenance à la modernité, Steven Spielberg réalise des plans de 1 à 2 minutes très humbles, invisibles, à la manière des classiques hollywoodiens des années 40 et 50. 

Spielberg cite régulièrement John Ford comme l'un de ses maîtres, et notamment dans son usage de plans longs, d'un découpage rigoureux, qui lui permettaient de finir ses tournages à l'avance. Spielberg se vante d'y parvenir lui aussi, notamment sur Jurassic Park - en terminant en avance et en faisant une économie sur le budget initial, il peut tourner une nouvelle fin, celle finalement gardée, du duel T-Rex/Velociraptor. 

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Conférence à la Directors Guild of America

Dans la conférence donnée par J.J Abrams, James Cameron et Steven Spielberg à la Directors Guild of America en juin 2011, Spielberg dit : 

"Ce qui me passionne le plus, c'est de réfléchir à ce que le spectateur va regarder dans l'image. C'est pourquoi je ne tourne pas des milliards de plans. Je ne saucissonne pas. J'aime l'idée que, dans la conversation entre Robert Shaw et Richard Dreyfuss dans Les Dents de la mer, le spectateur élabore son propre montage à l'intérieur de mes images. Cela me fait le même effet quand je suis au théâtre : on fait de très belles découvertes quand on choisit soi-même qui regarder. C'est pourquoi j'aime les plans larges et les longues focales.

(...) Tout le cinéma classique est comme ça. Le format 1'33 permettait d'avoir les personnages en entier dans l'image, tout en gardant une certaine proximité avec le public. Le champ-contrechamp avec l'épaule en amorce, c'est venu avec la télévision. Souvenez-vous du nombre de scènes, dans les grands films classiques qu'on aime, qui sont filmées en pied et de profil ! Dans La Vie est belle de Capra, la scène où Jimmy Stewart convainc la foule de ne pas retirer tout son argent des banques est en un seul plan : il est filmé de trois quarts dos, et flou... Toute la scène repose sur ce qu'il leur dit, et il n'y a pas de plan sur lui ! Capra capte le visage de ses auditeurs, qui basculent peu à peu de la panique vers la confiance. J'en ai passé du temps à regarder des scènes comme ça et à me demander : comment ça marche ? Comment est-ce possible qu'une scène fonctionne sans un gros plan sur le grand Jimmy Stewart ? Mais ça marche !"

Spielberg cite Capra, cinéaste classique de l’image-action selon Gilles Deleuze, et que ce dernier classe dans son Image-Mouvement dans un cinéma de "l'image-action sociale", tout comme King Vidor : les personnages ne se battent plus face à des Indiens ou des bandits, comme dans le western, mais entrent en action face à une injustice sociale et dans l'intérêt du plus grand nombre.

On retrouve ce style de découpage épuré dans un grand nombre de films de Spielberg, notamment dans le monologue culte de Quint dans Jaws

 

Cette vidéo de l'excellente page Youtube "Everyframe a painting" montre l'usage du plan-séquence chez Spielberg, un usage dans la tradition des grands films hollywoodiens :

  

Sugarland Express, chevauchée de voitures

Sugarland Express, par son titre, par son décor Texan, évoquent le genre du western, qu'il déplace dans les années 70. Les enfilades de voitures de police évoque, de manière absurde, les courses-poursuites à cheval des westerns.

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Dans le rôle du policier en charge de la communication avec les deux kidnappeurs, Ben Johnson, qui était un acteur récurrent des films de John Ford. Il a notamment joué dans Wagon Master, film qui raconte la fuite de mormons à travers le désert, toujours chassés, n'atteignant jamais leur El Dorado. Cette figure de l'exode est récurrente chez Spielberg. Tout comme Sugarland Express, les westerns de John Ford ont un ton doux-amer, et mêlent souvent action, chevauchée, poursuite dans le désert, et drame plein d'humanité, émotion et humour, portrait d’un groupe social. Spielberg rendra un hommage appuyé à John Ford par son film Cheval de guerre - malheureusement, pas à la hauteur du maître.

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Dans Stagecoach, en 1939, John Wayne fait sa première apparition chez John Ford, et y joue le hors-la-loi. Ce bandit n’est pas le bienvenue dans la diligence, mais qui sera bien utile pour sauver la peau des bons citoyens des dangers du désert. L'autre personnage honni est la prostituée, dont John Wayne tombe amoureux. Tout le cinéma de John Ford questionne la place des bannis, au sein de la communauté. Sugarland Express raconte aussi la fuite désespérée de deux amants, petits truands, pas bien dangereux, chassés par une société qui n'a pas su percevoir leur humanité derrière leurs petits larcins. Comme l'écrit Jackie Goldberg dans le hors-série Spielberg des Inrockuptibles de 2012, dans Sugarland Express "c'est moins le spectacle de la poursuite en elle-même qui intéresse Spielberg, que le spectacle autour de la poursuite, cette foule bigarrée qui voit en Goldie Hawn et William Atheton, adultes et enfants réunis dans le même corps, ses nouveaux héros." Effectivement, le film alterne entre la cruauté des humains face aux bannis, et l'idolâtrie, des groupes de "fans" se constituant autour des deux kidnappeurs dont l'enfant a été placé en famille d'accueil.

On retrouve dans le film le goût de Spielberg pour les immenses ciels, comme peints par un coucher de soleil orangé, issus du cinéma de John Ford. Les derniers plans du film, silhouettes de flics-cowboys en contre-jour, évoque la fin de The Searchers.

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Le film questionne également le port d'arme, par les personnages de Texans qui se prennent pour des cowboys, et se mêlent du travail de la police en essayant d'abattre les "criminels" fuyards.

Sugarland Express fait partie des films classiques "purs", d'image-action pure dirait Deleuze, de la carrière de Steven Spielberg. Le poursuivant est identifié, au contraire de Duel où il est un mystère que le poursuivi interroge (Duel appartenant donc plutôt à l'image-situation). La course-poursuite, et le montage parallèle, sont deux motifs nés avec le cinéma classique, les films de Griffith et même Le vol du grand rapide en 1903.

L'aspect politique

Sugarland Express fut un échec public, malgré le Prix du Scénario obtenu à Cannes, et le bon accueil critique. Le film est en effet une violente charge contre le port d'arme, et est potentiellement le plus "politique" de la carrière de Spielberg.

Comme l'a fait remarquer Alexander à la suite de la projection, les texans d'extrême-droite, avec leur autocollant "immatriculez les communistes, pas les armes à feu !", et qui partent à la chasse aux fugitifs, en sont le plus évident exemple. Ces barbares évoquent les pêcheurs de Jaws, appâtés par le gain, qui envahissent la mer et la polluent, jettent des morceaux de barbaque sans respecter aucune consigne, pour traquer le requin et remporter la prime promise par la mère de l'enfant décédé. Autre point politique dans Jaws, le trio Quint, le réactionnaire, Matt le gauchiste, Brody le centriste, démocrate. 

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Les "beaufs" dans Jaws

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... et dans Sugarland Express

On pourrait peut-être étendre cet aspect politique utilisé par Spielberg pour dessiner ses personnages, à ses autres films. Cet aspect politique se double de la prise de conscience, du passage à l'âge adulte, figure récurrente des films de Spielberg. On pense bien évidemment à La Liste de Schindler, où Schindler passe de la collaboration avec le pouvoir nazi, isolé de l'horreur dans son cocon, à une prise de conscience et un engagement politique. C'est encore le passage à l'état d'adulte, d'humain responsable, au coeur de tous les films de Spielberg.

Nicolas, Karine, Alexander, Brian et Julien, le 13/06/2016

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