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Ciné-Club des Esthètes de la Rue Truffaut
24 juillet 2016

Séance 6 - "Indiana Jones and The Last Crusade" et "Indiana Jones and The Kingdom of Crystal Skull"

Le plan-séquence classique

Toujours grâce à Every-frame-a-painting, excellente chaîne youtube, on peut isoler un bon exemple du plan-séquence "à la Spielberg" dans Indiana Jones and The Last Crusade. Spielberg aime en effet favoriser les plans de 1-2 minutes, qui laissent les acteurs interagir au sein d'un cadre assez large. Rien à voir avec le plan-séquence baroque à la De Palma ou Orson Welles, cherchant à se faire "remarquer" à l'oeil du spectateur. L'influence est plutôt celle de John Ford, Frank Capra, David Lean, que Spielberg cite ouvertement dans sa manière de découper les films et particulièrement les scènes de dialogues.

Dans Kingdom of the Crystal Skull, la scène du restaurant entre Indiana Jones et Mutt s'ouvre sur un premier plan sur la photographie de Ox (John Hurt), puis sur un plan-séquence d'une minute et onze secondes, dont voici l'extrait ci-dessous. On retrouve ce choix fréquent chez Spielberg du plan-séquence pour animer les dialogues : plutôt qu'un champ-contrechamp banal, le plan-séquence lui permet de s'amuser et notamment avec la profondeur. Ici, il y a tout d'abord la foule et ses petits détails à l'arrière-plan : et notamment les blousons Marshall, qui semblent gêner Mutt le blouson noir. Jeu également avec le premier-plan et les deux chapeaux (années 30 versus années 50), dont l'un sert de réceptacle pour y ranger la photographie. Mais c'est avant-tout le dialogue qui nous captive, et qui rend invisible le recadrage par travelling qu'opère la caméra. La seconde partie du plan-séquence montre un jeu avec la table de derrière, Mutt trempant son peigne dans le coca du voisin, puis lui piquant sa bière, et Indiana jouant (déjà, sans s'en rendre compte) le rôle du père en remettant la bière à sa place.

Toujours dans Kingdom of the Crystal Skull, on trouve un plan de 46 secondes lors de la découverte de la salle des squelettes de cristal. Un découpage académique aurait pu se faire succéder trois plans rapides : plan serré sur Indiana Jones, plan large sur la salle, plan moyen isolant le squelette sans tête. Ici, nous avons ces trois valeurs de plans, reliées entre elles par un travelling. Spielberg nous immerge dans la salle et nous fait vivre sa découverte. Il part du regard fasciné d'Indiana pour élargir et nous donner l'objet de sa vision, la salle dans son ensemble. Il suit ensuite le mouvement d'avancée de Ox pour franchir le siège doré du squelette sans tête, inversant le sens des regards des personnages, et isolant le squelette sans tête comme détail d'importance.

Le burlesque à la Keaton

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La première séquence de The Last Crusade suit le jeune Indiana Jones de wagon en wagon, poursuivit par les pilleurs. Avec la multiplicité des dangers, rhinocéros, alligators, lions, mais aussi des têtes de girafes qui dépassent, la séquence tend à l'absurde - humour absurde très présent dans la saga Indiana Jones. Dans Indiana Jones and The Kingdom of the Crystal skull, c'est l'échappatoir du frigidaire face à une attaque atomique.

Cet humour, Gilles Deleuze l'analyse dans Image Mouvement à propos de Buster Keaton : dans ses films, l'humour naît du gouffre entre l'immensité de l'événement, et la toute petite taille du héros qui y fait face, gringalet Buster. Un cinéma burlesque qui s'inscrit donc dans le classicisme de l'image-action : comment va réagir le héros face à la menace ? Mais qui en tire un humour décalé. Dans la saga Indiana Jones, c'est parfois un duel à l'épée qui se conclut en coup de pistolet, ou bien un avion affronté par Henry Jones Sr simplement à l'aide d'un... parapluie !

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Naissance d'un héros

Indiana Jones and The Last Crusade s'ouvre donc sur un prologue qui présente le jeune Indiana Jones dans l'une de ses premières aventures : une course-poursuite pour sauver la Croix du Coronado des mains de pilleurs. On y voit la naissance du futur héros, et de ses signes distinctifs : le chapeau feutre, le fouet, la peur des serpents.

Plus tard, c'est son père, Henry Jones, qui "devient" un héros, et notamment au cours d'une scène culte : celle du parapluie. Gilles Deleuze identifie dans le cinéma classique un signe distinctif, qu'il appelle les "binômes" : l'affrontement de deux forces dont l'une est "volontaire". C'est le sel du cinéma de l'image-action : instants de duels, d'épreuves, qui captent le moment de l'action, et l'importance de la bonne réaction qui fera que l'une des deux force vaincra. Henry Jones Sr. restait jusqu'à cette scène un intellectuel à la traîne, maladroit - sa maladresse permettant parfois par hasard de sauver son fils et lui des mains des nazis. Mais, dans cette scène mémorable, il prend le relais de son fils héroïque, et fait face aux ennemis de manière volontaire. Dans son regard, on lit la solution ingénieuse qui permettra d'abattre l'avion nazi. Au terme de la séquence, c'est dans le regard du fils qu'on lit l'admiration (re)naissante envers son père, héroïque enfin.

Père et fils

A partir de cette scène, le père apprend des méthodes héroïques du fils. De son côté, Indiana devra aussi retenir les leçons de son père : il affrontera seul les trois énigmes qui permettent d'atteindre le Graal, et notamment en ayant à se remémorer son latin.

The Last Crusade peut donc prétendre à la place d'épisode le plus réussi de la saga, car il parvient à mêler le rythme haletant des épisodes précédents à un vrai scénario solide qui rejoint la thématique centrale du cinéma de Spielberg : le père absent. On retrouve la construction des grands classiques du cinéma que Spielberg aime, John Ford, David Lean, Akira Kurosawa, où l'action s'accompagne toujours d’une quête plus profonde qui concerne les personnages. Ici, la Quête du Graal s’accompagne d’une Quête du Père.

Certains critiques avaient pointés du doigt le manque de profondeur psychologique de cette saga dans les deux premiers opus. Pauline Kael (très influente critique du New Yorker, et professeur de cinéma de Quentin Tarantino) voyait Raiders of the Lost Ark comme un film aux personnages vides et une production « impersonnelle ». En France, Jacques Lourcelle écrivait à propos de Temple of Doom, « un cinéma d’action de plus en plus rythmé au détriment de la psychologie des personnages ». Pour Kael à propos du premier volet, sa critique est un peu dure, puisque Marion Ravenwood reste un personnage attachant  et bien écrit, auquel tenait beaucoup Steven Spielberg. Néanmoins, leur relation suit une évolution très plate et classique : ils commencent par se chamailler, puis se réunissent grâce aux aventures et finissent ensemble. Pour l'épisode de The Temple of Doom, on sent que Lucas et Spielberg on voulut créer un élément de comédie, chargeant Indiana d'un enfant et d'une femme d'adoption... malheureusement, l'écriture ne dépassant pas des cris répétitifs, l'humour tombe à plat et ne vient que nuire à l'action.

Dans The Last Crusade, la relation père-fils permet au film d'être plus "incarné". Dans une première partie, elle créé un duo façon Laurel et Hardy entre Indiana et son père Henry Jones Sr. Dans la seconde partie du film, père et fils se rapprochent. Indiana parviendra à trouver le Graal car ses motivations seront pures : sauver son père. Puis, dans un dernier rebondissement, c'est le père qui sauvra le fils de l'envoûtement du Graal, en lui tendant la main et en l'appelant enfin par son nom d'Indiana - et non plus "Junior". La voix du père, mixée à cet instant pour paraître très présente et ressortir du reste de la bande sonore, évoque la voix douce d'un père sur le landau de son fils. Cet instant de réunion permet à l'émotion de surgir au sein de ce film qui a d'abord fait la part belle à l'aventure et à l'humour.

... figure marquante de la filmographie de Steven Spielberg

La relation père-fils permet donc à The Last Crusade d'être plus touchant que les deux précédents opus de la saga , d’autant qu’elle est vraiment le cœur de ce qui préoccupe Steven Spielberg. Il avoue lui-même qu’au départ de E.T., il voulait écrire un film sur le divorce de ses parents. Dans E.T. le père est totalement absent, et E.T. vient combler le manque.

On peut trouver la figure du père absent, ou du père qui remplit mal son rôle, dans presque chaque film de la carrière de Spielberg. Il y a les pères maladroits, pas fait pour ça : Alan Grant dans Jurassic Park, qui trouve que "les enfants puent", mais qui apprendra à devenir un père adoptif pour défendre les enfants des dinosaures. Ray dans War of the worlds, sa fille lui demandant une comptine pour la rassurer, répond qu’il n’en connaît aucune, et lui chante alors les Beach Boys...

Dans Hook, Peter Banning est devenu un triste homme d’affaire et bien mauvais père… avant de se souvenir qu’il a un jour été Peter Pan. Dans Close encounters of the third king le père terrifie sa famille en devenant un fou des extraterrestre. Dans War horse, c’est la faillite du père, incapable de sauver ses terres, qui provoque la vente du cheval, donc la séparation de l’enfant et son meilleur ami animal. Dans Sugarland express, la mère prend la décision de faire évader le père de prison pour aller sauver leur fils de la famille d’accueil. Dans Jaws, Brody est un père-enfant, qui n’arrive pas à apporter la sécurité à sa famille et à sa ville, avant de partir affronter le gros requin pour revenir héroïque. Dans The Temple of Doom le petit Demi-lune est orphelin, et Indiana devient son père d’adoption et pendant un instant un piètre père puisqu’il est drogué par la secte et commence à le battre. Dans The Color purple Celie est sexuellement abusée par son père ce qui la pousse à s’enfuir. Empire of the sun suit l’exode d’un enfant après la disparition de ses parents. Dans Jurassic Park : The lost world, Ian Malcolm est un père divorcé forcé de rester avec sa fille Kelly. Dans Amistad Cinque est forcé de devenir un père absent car il est fait esclave et séparé de sa femme et ses enfants.

La fin des années 90 montre la réconciliation du père (à la fois dans la vie de Spielberg et dans sa filmographie). A.I. montre l'exode du petit robot, abondonné par sa mère humaine, accueilli par un père adoptif robot. Minority Report montre un père qui ne peut pas se remettre de la mort de son fils des années plus tôt. Dans Catch me if you can, le père de DiCaprio a des dettes et sa mère un amant, il se créé une nouvelle identité de faussaire, et au final trouve un père adoptif dans la personne de Tom Hanks qui est le seul à s'intéresser à lui en le poursuivant. Dans The Terminal, Tom Hanks se rend aux USA pour accomplir les dernières volontés de son père mort. Dans Munich, Avner doit quitter sa femme enceinte pour accomplir une mission pour le gouvernement d’Israël.

Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal skull

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Dans le quatrième opus de la saga, c'est au tour d'Indiana Jones lui-même de se découvrir père, père qui ignorait l'existence de son fils de 20 ans. Quand Indiana découvre la vérité de sa paternité, il cherche alors à "jouer le rôle" du père, en imposant au jeune homme de reprendre ses études. Mais majoritairement, leur relation reste positive, à l'image du film, très bon-enfant dans son ensemble. Le film semble montrer qu'il existe un fil invisible qui relie le père et le fils malgré leur éloignement : le fils se montre en effet le digne héritier du père, et les deux deviennent vite deux co-équipiers dans cette nouvelle aventure. Ce fil invisible père-fils relie également Indiana à Henry Jones Sr., le père décédé. Indiana a en effet retenu les leçons de son père après leur réconciliation de l'épisode 3. Il est devenu à son tour plus adepte des études et des livres. Fil invisible qui est le même que celui qui relie les Aliens entre eux, dans le Temple Maya de la séquence finale. Le choix des extraterrestres permet au scénario de faire le lien entre la thématique père-fils et l'objet de l'aventure. Spielberg reprend la théorie des aliens "archéologues", Pères spirituels des humains, leurs Dieux, qui leur ont tout appris, mais dont on a oublié qu'ils sont à l'origine de cet héritage.

Ce final s'inscrit dans la continuité des précédents opus : il se conclut lui aussi par une vision mystique, questionnant à la fois la croyance et la quête de puissance. Ces dernières scènes mystiques évoquent la fin des Dix Commandements, où comment représenter une puissance supérieur à l'Homme au sein d'un cinéma grand spectacle. Après la Seconde Guerre Mondiale, Dieu est mort... et l'on se créé donc nouveaux Dieux, plus scientifiques, à bord de soucoupes volantes.

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On peut regretter que le film, qui contient toutes ces thématiques dans son scénario, ne les développe pas plus. Tout semble un peu survolé. En examinant la Timeline du film, on constate surtout que le film ne tient pas ses promesses au fur et à mesure de son avancée :

- les 40 premières minutes sont les meilleures, de l'intro dans la Zone 51 à l'asile du Pérou, en passant par le village nucléaire, et la course-poursuite en moto.

- de 40 mn. à 55 mn. une première scène un peu ratée : celle du cimetière, mal éclairée, au découpage assez académique (suite de champs-contrechamps explicatifs entre Indiana et Mutt) et à la conclusion baclée : ayant trouvé le crâne de cristal, Indiana et Mutt se font arrêter par les Russes sans plus de résistance.

- la dernière heure du film se déroule dans la jungle, et c'est probablement cette partie qui est la plus faible puisque les personnages sont déjà près du but pendant une heure. Elle commence d'abord dans le campement des soviétiques de 55' à 1h09, puis c'est la course-poursuite de nuit puis de jour de 1h09 à 1h31 (au cours de laquelle Indiana apprend que Mutt est son fils), puis le Temple Maya de 1h31 à 1h54. Le film se termine sur l'épilogue du mariage les trois dernières minutes.

L'autre regret est bien sûr celui du passage aux technologies CGI des années 2000, qui a déplu à de nombreux fans de la saga. Semble perdu un point fort de la trilogie originelle : la modernité technique de ses effets visuels, qui semblaient donner vie à des cascades spectaculaires de manière réaliste. Ce n'était pas l'action qui était réaliste, mais sa confection. Ici, on est presque plus dans le film animé, en tout cas dans certaines séquences. Une orientation récente du cinéma de Spielberg, avec Tintin et BGG. Peut-être, aussi, une influence de George Lucas qui tenait plus à ce quatrième opus que Spielberg.

Pourtant quelques belles idées de mise en scène très Spielberg-iennes maintiennent l'intérêt de cet épisode. Par exemple, l'annonce de la paternité d'Indiana, en plein sables mouvants.

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Ou sa première ré-apparition, avec d'abord son chapeau, puis son ombre légendaire - qui évoque L'arche perdue lors de ses "premières" retrouvailles avec Marion (scène elle-même référence à Casablanca). La caméra continue le mouvement de la porte sur les soviétiques, jusqu'au visage d'Indiana.

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L'introduction est également admirablement découpée, passant du reflet de la voiture des jeunes, au reflet du pilote soviétique, puis dans un même plan à l'intérieur de la voiture pour revenir aux jeunes.

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De même, une belle scène d'action dans la première partie du film fait la part belle aux effets techniques "à l'ancienne" de la saga : une course-poursuite dans la ville, l'Indiana septuagénaire s'accrochant à la moto de son fils. La seconde grande poursuite du film, dans la jungle, est faite de nombreuses péripéties, mais toutes gâchées par sa réalisation trop souvent sur fonds verts... Dommage.

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Cascades "à l'ancienne"

VS

en CGI

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 Nicolas le 25/07/2016, merci à nos participants Beatriz, Pauline, Vivien, Gianlorenzo et Alexander

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