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Ciné-Club des Esthètes de la Rue Truffaut
11 mai 2017

Séance 27 - "Mulholland drive"

Mulholland drive entre image-pulsion et cinéma mental :

Deux concepts du philosophe Gilles Deleuze issus de ses ouvrages L'image Mouvement et L'image Temps pourraient s'appliquer à Mulholland drive.

D'une part, celui d'un cinéma naturaliste de l'image-pulsion. Sexe, meurtre, moments de folie passagère et parfois violente, sont la marque d'un monde originaire caché sous les apparences. C'est l'invention d'Emile Zola en littérature : la description réaliste d'un milieu, mais avec un sentiment de "comme si", d'illusion. Et, quand on a "épuisé" la description du milieu, on découvre un autre monde caché, celui des pulsions (incestueuses, meurtrières, etc.). 

Voici par exemple l'illustration de l'analyse de Deleuze avec la série Twin Peaks
(avec SPOILERS !) :

Dans son livre L'image Mouvement, Gilles Deleuze applique ce concept au cinéma en prenant les exemple de Luis Bunuel, Stroheim, et Joseph Losey. Deleuze décrit par exemple comment, chez Bunuel, la descriptions de mondes bourgeois et artificiels, cache toutes sortes de folie. Il y a le monde social dit "monde dérivé", et le monde caché dit "monde originaire. La coexistence de ces deux mondes donne lieu à un surréalisme bien particulier.

Pour Jean-Luc Lacuve, cinéphile à l'origine du Ciné-club de Caen, David Lynch appartiendrait à cette même catégorie de cinéaste que Luis Bunuel. Il y classe également le réalisateur Jean-Claude Brisseau.

On retrouve chez Lynch les "fétiches" dont parle Deleuze, ces morceaux d'un monde originaire arrachés, et retrouvés dans le monde dérivé : c'est, dans Mulholland drive, la boîte bleue et sa clé. 

Source: Externe

Dans Mulholland drive, après avoir montré les vices cachés des villages américains dans Blue Velvet et Twin Peaks, Lynch scrute Los Angeles. Le thème des illusions est très présent dans tout le film, que ce soit dans la scène du Club Silencio ou celles sur les plateaux de tournage. Dans une partie du film, Betty est une jeune actrice raïve et ravie. Dans l'autre, elle est Diane, une jeune femme en dépression, comédienne ratée et peut-être droguée, probablement auteur du meurtre de son ex maîtresse.

Si beaucoup de spectateurs ont expliqué cette dualité du personnage par un film en deux parties, l'une rêvée, l'autre éveillée, Lynch montre aussi un monde de "surface" (Betty, l'image que beaucoup se font d'Hollywood), et un monde "originaire", fait de pulsions sexuelles, meurtrières, et enfin suicidaires.

Dans Mulholland drive, la présence du monstre-clochard, de prostituées et de tueurs à gage, sont les signes du monde originaire et contrebalancent la beauté lisse du monde dérivé hollywoodien. Le cauchemar, c'est aussi de devenir SDF, ou bien serveuse (image qui revient souvent aussi).

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Source: Externe

Et c'est donc par cette construction en rêve et cauchemar que Mulholland drive appartient aussi à ce que Gilles Deleuze appelait "cinéma du cerveau". Le philosophe cite Stanley Kubrick et Alain Resnais comme deux cinéastes s'inscrivant dans ce concept. Selon Deleuze, chez Kubrick, c'est le cerveau qui est mis en scène. Le monde lui-même est un cerveau, dans lequel la caméra explore. Chez Resnais, ont s'enfonce dans la mémoire de personnages déjà morts, déjà fantômes, et l'on reconstitue le puzzle de leurs vies par bouts de souvenirs et de rêveries.

Source: Externe Source: ExterneSource: Externe

Eraserhead semblait déjà nous perdre dans les méandres d'un cerveau-monde. L'image du début du film était une grosse planète, en surimpression avec la tête du personnage principal - et cette image introductive rappelait celle de 2001 de Kubrick. Blue Velvet et Twin Peaks consacraient une plus grande part aux "mondes dérivés", et s'ancraient plus dans le réel - deux oeuvres qui penchaient plus du côté du "naturalisme". 

Mulholland drive revient au fonctionnement de la psychée humaine, en adoptant le point de vue de son héroïne, à travers ses rêves et ses cauchemars. Fire walk with me et Lost highway auront été précurseurs de cette démarche.

L'onirisme cinématographique comme actualisation du son par l'image

Dans Rêve et cinéma, Marguerite Chabrol évoque L'année dernière à Marienbad de Resnais et Mulholland drive en ces termes :

"Certains films suscitent le sentiment que l'opposition entre réel et imaginaire ne se joue pas entre les scènes, mais qu'elle est faite de superpositions entre le réel et l'imaginaire au sein de la même scène. Nous essaierons d'analyser une forme récurrente où le son est vrai tandis que l'image relève d'une recomposition imaginaire. Sous la forme de scènes développées se prolonge ainsi un phénomène fréquent du rêve où un son brutal (sonnerie, réveil) qui l'interrompt est intégré dans le rêve dans un premier temps, avant de déborder pour ramener le rêveur au réel."

Voici un montage personnel illustrant cette théorie, selon laquelle Mulholland drive plonge le spectateur dans un cauchemar, la salle de cinéma étant comme un cocon, d'om nous entendrions les bribes d'un monde extérieur qui cherche à nous réveiller :

Marguerite Chabrol écrit ensuite :

"Mulholland drive théorise ce phénomène dans la scène du club Silencio, au cours de laquelle le bonimenteur explique que le spectacle est entièrement une illusion en proposant la deuxième scène de play-back du film. Et la scène de préparation à l'audition en est en fait une application anticipée et ménage une double lecture (elle s'ouvre d'ailleurs d'une façon ambigüe qui retarde un peu la révélation du fait qu'il s'agit d'un jeu). Elle incarne un règlement de comptes passionnel entre les deux protagonistes qui correspond à l'intrigue réelle : le son peut ainsi être compris comme vrai (le dialogue révélant les pulsions passionnelles et meurtrières) et l'image comme doublement fausse (en tant que répétition théâtrale, et en tant que scène rêvée par Diane et faisant partie du vaste fantasme qu'est la première partie du film)."

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"Beaucoup de sons contiennent ainsi des révélations et contribuent à l'ironie de plusieurs situations, dont le meilleur exemple est certainement le "c'est étrange de s'appeler soi-même" de Mulholland drive."

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Marguerite Chabrol note l'ubiquïté de Diane qui s'appelle elle-même. Le sujet tend à devenir "flottant", à disparaître même, comme dans L'année dernière à Marienbad. Et comme dans les rêves, quand nous sommes soudain quelqu'un d'autre.

Elle écrit : "Même si on peut défendre la lecture du film comme un récit fantasmatique subjectif (le rêve de Diane), la multiplication des points de vue concurrentiels est à noter (le retour de la tante à la fin en serait la plus forte illustration). 

Le paradoxe de ces films oniriques est bien d'évoquer une perte du sujet rêvant, tout en s'appuyant à la fois sur une forte présence des sensations subjectives et sur des mécanismes psychologiques et psychanalytiques."

"Chez Lynch, le rêve est l'expression d'un remords et la seule manière de revenir sur le crime commandité par l'héroïne et dont elle a reçu l'annonce". 

"Dans Mulholland drive, la référence à Sunset boulevard suggère que le rêve est aussi un équivalent du récit du mort du film de Wilder, lui aussi fortement conduit par sa bande-son et sa voix off désabusée. Chez Wilder, le protagoniste affiche une sorte de renoncement à lutter. Chez Lynch, le rêve est la manifestation d'une vaine mais énergique dénégation du réel". 

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"Dans Mulholland drive, enfin, la scène réelle matricielle est, dans la deuxième partie, la soirée d'annonce du mariage de Camilla au cours de laquelle Diane est publiquement humiliée par son ancienne amante. la première partie du film se comprend ainsi rétroactivement, car elle développe en fait des détails de cette scène, comme le trajet en voiture, l'humiliation en retour du réalisateur dans la piscine dont il est si fier, le café du mafieux, le passage du cow-boy... Incongrus au premier abord dans le rêve, ces détails s'expliquent en fait par cette épreuve ultime imposée par Camilla". 

Au-delà du rêve

Quand Diane se suicide, on voit dans le tiroir de sa table de chevet la boîte bleue.

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Donc, la boîte bleue est réelle. 

Et, probablement, le Monstre-Clochard l'est aussi, puisqu'il en est le détenteur.

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Rejoignant les êtres mystérieux qui peuplent Twin Peaks et Lost Highway (Bob, le Mystery Man), ce Clochard serait peut-être l'être qui donne à Diane la boîte bleue. Boîte bleue lui permettant de "vivre une autre vie" pendant un instant. 

La première partie ne serait donc pas un simple rêve, mais une véritable expérience de vie parallèle, dans une autre dimension.

On rejoint là le schéma de Lost Highway, avec son héros criminel qui s'échappe de prison en "possédant" le corps d'un jeune homme.

Si Lost Highway commence par nous montrer le meurtre puis la seconde vie, Mulholland drive fait l'inverse. Il est aussi une réponse féminine au très masculin Lost Highway.

Mulholland drive est un miroir à Lost Highway, mais aussi à nombre d'autres films : Vertigo, Personna, Sunset boulevard, notamment. Certains disent que Laura Palmer et Ronnette Pulaski (Twin Peaks) apparaissent dans le Club Silencio. 

Vertigo et Mulholland drive :

Source: Externe

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Source: Externe

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Sur le rapport à Vertigo, Olivier Joyard et Jean-Marc Lalanne écrivent dans les Cahiers du cinéma n°562 :

"Lynch, de son côté, revient encore sur Vertigo. Ces personnages d'actrices qui se dédoublent prolongent celui de Kim Novak (...) 
Mais Lynch fait subir au film d'Hitchcock une étonnante torsion. Betty, qui meurt deux fois, au milieu et à la fin du film, n'est pas seulement Madeleine. Elle est aussi Scottie (James Stewart), qui enquête et qui désire, tiré par l'objet de son obsession dans une spirale mortifère. Lynch contracte en une seule figure le voyeur et son objet, le regard et l'image, le masculin et le féminin."

Une analyse poussée de la comparaison des deux films se trouve sur ce site : https://movie.douban.com/review/6448406/

Persona et Mulholland drive :

Source: Externe

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Twin Peaks et Mulholland drive :

Source: Externe

 

 Nicolas le 12/5/2017 , merci à Alex, Théo et Vivien !

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