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Ciné-Club des Esthètes de la Rue Truffaut
30 juin 2016

Séance 4 - "Casablanca" et "Raiders of the Lost Ark"

Michael Curtiz et Steven Spielberg

Michael Curtiz est le réalisateur de films très différents, excellent "faiseur" des studios d'Hollywood, mais dont les trois films restés les plus mythiques sont probablement ceux d'aventure, les deux films de pirate avec Errol Flynn Captain Blood et The Sea Hawk, et l'adaptation de Robin des Bois toujours avec Errol Flynn The adventures of Robin Hood. Bien sûr, il est un quatrième film qui a marqué l'histoire du cinéma, c'est Casablanca.

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Comme l'écrit Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire du cinéma, Casablanca "est vraisemblablement le film américain le plus aimé des Américains eux-mêmes. (...) Cela tient sans doute, dans ce qu'il a de bon et de moins bon, à sa nature de feuilleton qu'il partage avec Autant en emporte le vent, autre film adoré des Américains. Le caractère exceptionnel de Casablanca dans la grande production hollywoodienne, est qu'il a été - involontairement - conçu, écrit et tourné comme un feuilleton, aucun de ses créateurs ne connaissant la destination de l'histoire, laquelle resta jusqu'au bout "à suivre"."

Cet aspect feuilletonnant se retrouve dans la carrière de Steven Spielberg et George Lucas, les deux créateurs d'Indiana Jones. Il s'agit de films de l'image-action, avec une structure SAS', mais au sein duquel le héros affronte une succession de défis : s'échapper d'un tombeau, affronter des serpents, poursuivre des camions de nazis, etc. Le cinéma de l'image-action est rempli de ce que Gilles Deleuze appelle des "binômes", c'est-à-dire l'instant où s'affrontent deux forces. C'est le duel dans le western, où le face-à-face du héros et du Vélociraptor, où encore de l'enfant et de l'oeil de l'alien belliqueux... Le cinéma de l’image-action présente toujours ces moments de luttes, où le spectateur est absolument en éveil, et attend de voir comment le héros va feinter, esquiver l’attaque, survivre ou non.

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Dans un making-of "Casablanca an unlikely classic", Steven Spielberg intervient pour témoigner de son amour du film de Michael Curtiz, et de l'influence qu'il a eu sur lui. Voici ci-dessous les extraits concernant Spielberg. Le réalisateur d'Indiana Jones cite : d'une part la fascination pour un tournage si chaotique ayant donné lieu à un chef d'oeuvre (lui-même ayant expérimenté le cauchemardesque tournage de Jaws) ; le style de Michael Curtiz, créant à l'aide de mouvement de Dolly une chorégraphie de la caméra et des acteurs, en toute discrétion, et toujours de manière justifiée ; les décors artificiels, donnant une atmosphère "over-the-top" au film et permettant aux spectateurs de se laisser porter par de plus grandes émotions ; la musique de Max Steiner, également over-the-top et dramatique, notamment pour accompagner la menace des nazis, ou bien la romance de Bogart et Bergman.

Indiana Jones et Casablanca

Si James Bond a été la source de l'envie de Spielberg de réaliser un grand film d'action hyper-divertissant, une autre influence pour la création du personnage d'Indiana Jones est celle du personnage de Rick incarné par Bogart dans Casablanca. Jacques Lourcelles dit à son propos : "l'élément dominant du film, c'est bien entendu le romantisme rassurant, mais de bon aloi, qui émane du personnage de Rick et qui cimenta le mythe de Bogart. Toute l'Amérique s'est reconnue - et continue de se reconnaître - avec délices dans ce personnage, dans son cynisme et son pragmatisme de façade recouvrant un idéalisme à toute épreuve." 

On retrouve ce personnage désabusé mais romantique, agissant parfois avec une certaine indélicatesse mais toujours avec un bon fond, chez Indiana Jones. On retrouve également le nazisme comme menace ultime, incarnation du mal absolu, au sein de cette aventure exotique. D'autres clins d'oeils à Casablanca réapparaissent à travers Indiana Jones, plutôt dans le contexte historique ou l'atmosphère du film que dans le récit :

L'ombre du héros légendaire

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Deux alter-egos cyniques et désabusés :

l’américain gardant au fond de lui un sens moral, le français cédant à la collaboration du plus offrant

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Les tracés des déplacements sur le globe

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Les décors de marchés du Caire ou de Casablanca et la manière dont ils sont filmés

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Clin d'oeil dans le final d'Indiana Jones, par les postures et les costumes, au final de Casablanca

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On retrouve un hommage appuyé à Casablanca également dans l'épisode 2 Indiana Jones and The Temple of Doom, par la reprise d'un plan évoquant la posture de Rick/Bogart dans son restaurant.

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Steven Spielberg donne une grande importance aux films qui l'ont influencés, et confie lui-même que les movie-brats - De Palma, Scorsese, Lucas et lui-même - ne font que réutiliser les films des années 40 et 50 :

Autres inspirations à la source d'Indiana Jones

Pour George Lucas, l'inspiration première de la saga furent les "serials" de la Republic. Il s'agissait de feuilletons de série B diffusés en épisodes de 20 minutes avant les films de série A, avec un héros fort, se terminant sur un cliffhanger donnant envie de voir l’épisode diffusé la semaine suivante. Puis à partir des années 50, ces serials furent diffusés en films d’1H40 le samedi matin à la télévision. C'était les « Saturday serials », que Lucas adorait. A partir des années 60, ces "serials" eurent tendance à disparaître aux profit de cartoons.

Au départ, George Lucas voulait écrire un personnage de Samouraï, étant un grand admirateur de Kurosawa. Mais Spielberg tient à l'esprit James Bond. C'est cette référence aux Serials qui va les mettre d'accord. Spielberg écrira dans les notes de production : « chaque cliffhanger doit être meilleur que le précédent (…) comme une attraction disney ».

Si l'on remonte le temps, les premiers feuilletons sont apparus dès l'ère du muet. Ce sont notamment, en France, les feuilletons à succès de Louis Feuillade dans les années 10, comme Fantomas ou Les Vampires, mais aussi ceux d’autres cinéastes, par exemple la saga Nick Carter, ou bien aux Etats-Unis le feuilleton produit par Pathé Perils of Pauline.

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Puis, ce furent de nombreux westerns tournés sous forme de serials, très à la mode à l'époque, aujourd'hui perdus. Le western connu d'ailleurs un premier oubli, puisqu'il fut considéré comme un genre has-been à l'apparition du parlant. Quand John Ford tourna Stagecoach en 1939, il donnait déjà un second souffle à un genre considéré alors comme de série B !

Pour en revenir aux feuilletons, à partir de l'ère du parlant, ce fut essentiellement les serials de la société Republic, avec des feuilletons comme PANTHER GILR OF THE KONGO ou SECRET SERVICE IN DARKEST AFRICA… Ou bien ceux d'Universal, notamment leur feuilleton le plus connu FLASH GORDON (que George Lucas voulut adapter, mais les droits étant déjà achetés par Alain Resnais, il créera alors Star Wars).

On peut retrouver un historique des serials sur ce site : http://www.unmuseum.org/notescurator/indyroots.htm L'auteur de l'article ajoute à cet historique : "il faut remercier ces deux grands enfants, Lucas et Spielberg, d’avoir réintroduit les serials dans la jeune génération et en leur donnant un plus grande qualité de production." Lucas et Spielberg ont tiré de ces feuilletons d'aventures de série B une saga de « séries A », mais en gardant cet esprit simple, fait de successions d’actions très fortes.

L'impact d'Indiana Jones

Michel Chion dans Cinéma, un art sonore, émet l'hypothèse suivante : c’est l’invention du nouveau son Dolby multipistes qui accélère ou favorise le retour du genre du film d’aventures au début des années 80. Cette nouvelle technique donne aux spectateurs la très grande impression d’être immergé dans une aventure, de ressentir l'ambiance des paysages, d'être englobé par la jungle qui grouille d’insecte et d’oiseaux… c’est aussi ce nouveau phénomène sensoriel, et cette nouvelle technique, qui a amené le public à se tourner vers de nouveaux films à grand spectacle.

En revoyant aujourd'hui Raiders of the Lost Ark, il est évident que Spielberg invente là définitivement le blockbuster moderne, en passant à la moulinette des nouveaux effets spéciaux, les recettes du passé. Dans le Hors-série des Inrocks consacré à Steven Spielberg, Serge Kasanski note une influence peut-être néfaste de ce premier Indiana Jones : il y perçoit une accélération du montage, "ouvrant l’ère des scènes d’actions constituées de plans fragments, de quelques secondes, pour le meilleur et surtout pour le pire."

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